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Rencontre avec Pierre Comte
Responsable du Laboratoire de contrôle des gaz d’échappement à l’Université des Sciences appliquées de Berne (Suisse)
Ce laboratoire de recherche scientifique a réalisé une expérimentation inédite, destinée à mesurer l’influence du Superéthanol-E85 sur les émissions des véhicules essence en conditions réelles de conduite. Verdict : un bilan favorable sur tous les tableaux pour ce carburant contenant jusqu’à 85 % de bioéthanol d’origine agricole et renouvelable.
Quelle est la vocation de votre laboratoire ?
Intégré à la Haute école spécialisée, notre laboratoire est dédié à la mesure des émissions polluantes des véhicules terrestres : automobiles, deux-roues, mais aussi poids lourds et engins de chantiers… Nos travaux répondent à des mandats qui nous sont soumis soit par des institutions, comme les offices fédéraux en charge de l’Environnement, des Transports et de l’Énergie, soit par des entreprises (constructeurs, importateurs, garagistes…). Par ailleurs, nous sommes accrédités « ISO » pour la certification des systèmes de dépollution qui sont destinés à l’équipement ultérieur de véhicules routiers et non-routiers équipés de moteurs diesel.
Votre étude sur le Superéthanol-E85 a été conduite à l’initiative du laboratoire. Quelle en est la motivation ?
L’éthanol est le carburant alternatif aux énergies fossiles le plus répandu au monde : il nous a paru important d’évaluer ce qu’il peut apporter en termes de réduction des émissions par rapport aux essences conventionnelles. Nous nous y intéressons depuis plus de dix ans, mais l’actualité liée à la transition énergétique conjuguée à la montée en puissance du bioéthanol en Europe – à travers le SP95-E10 et le superéthanol E85 – nous a conduits à franchir une étape supplémentaire. En outre, nous ne sommes pas les seuls à nous pencher sur cette question, et cette étude a été réalisée en partenariat avec un institut allemand.
Quel en a été le protocole ?
Notre protocole repose sur deux séries de tests. L’une en laboratoire, selon un protocole « classique » où des bancs d’essai à rouleaux simulent des paramètres de la conduite sur route ; l’autre, plus innovante, en condition réelle de conduite. Cette méthode appelée « RDE » est encadrée par une norme officielle européenne qui définit les règles d’établissement du parcours sur route et les paramètres de conduite : distance, tracé, durée, vitesses moyennes, accélérations, arrêts, utilisation des réseaux urbains, routiers et autoroutiers… Nous avons choisi deux véhicules à injection directe équipés d’un dispositif Flex-Fuel de série : une Volvo V60 T4F et une Audi A4 Flexifuel. Soit deux modèles « constructeurs », de poids et de puissance sensiblement équivalents, que nous nous sommes procurés sur le parc en circulation. Les mêmes tests ont été réalisés rigoureusement de la même manière en alimentant successivement les moteurs avec de l’essence conventionnelle puis avec du superéthanol E85.
La condition réelle de conduite (RDE) est donc une méthode atypique par rapport aux autres protocoles de mesure des émissions…
Jusqu’à présent, oui. Les tests en laboratoire, qui sont des essais reproductibles, étaient les seuls mis en œuvre dans les processus d’homologation des véhicules légers. Or, à partir du 1er septembre 2018, tous les modèles de véhicules de tourisme devront être soumis au double test, laboratoire et RDE, dont les résultats délivreront les niveaux officiels d’émissions polluantes. En ce sens, notre étude préfigure ce qui sera demain la règle au sein de l’Union européenne.
Le bilan du E85 est éloquent (voir tableau ci-dessous). Quel en est le principal enseignement ?
À la différence des analyses de cycle de vie, dites « du champ à la roue », le bilan que nous présentons est le fruit de mesures enregistrées à la sortie du pot d’échappement. Nous avons ainsi mesuré une partie des composants émis, dont deux polluants de l’air soumis à des valeurs limites : les oxydes d’azote (NOx) et les particules (PN). Le principal enseignement est que l’utilisation de l’E85 abaisse de manière significative toutes les émissions. L’impact sur le CO2, déjà bien connu, est confirmé en conditions réelle de conduite avec une réduction de 2 à 6 % des émissions (contre 10 % généralement enregistrés sur banc d’essai). L’impact en termes de réduction des NOx monte jusqu’à 35 % et, au niveau des particules, le résultat est spectaculaire avec une réduction de plus de 90 % du nombre de particules fines émises. Ces résultats confirment le potentiel de l’E85, d’autant plus qu’il est désormais acquis que la production de bioéthanol n’entre pas en concurrence avec les cultures alimentaires (seul 1% des surfaces agricole utile française est concerné).
Comment s’expliquent ces performances ?
Tout d’abord, la proportion d’atomes de carbone est plus faible dans l’E85 que dans l’essence conventionnelle. Ensuite, le bioéthanol contient de l’oxygène qui joue un rôle important dans la chambre de combustion. Grâce à cet oxygène, le carburant contenant du bioéthanol bénéficie d’une meilleure combustion qui, schématiquement, se traduit à trois niveaux : elle délivre moins de CO2, elle favorise les réactions d’oxydation qui neutralisent les particules fines, elle abaisse la température de la chambre, ce qui réduit la formation de NOx.
Vos travaux sont-ils mis à profit par les instances publiques concernées, au niveau national ou européen ?
Bien que nous ne soyons pas missionnés par des instances européennes ou des États membres, nos travaux ont vocation à être pris en considération par toutes les autorités et expertises concernées par les questions d’énergie, d’environnement et de transports. Ils font à cet égard l’objet de publications et de communications dans le cadre de conférences professionnelles et institutionnelles dédiées à ces thèmes. De plus, ils s’inscrivent dans une dynamique de collaboration avec de multiples partenaires, issus de différentes disciplines, qui contribue à alimenter les réflexions et les décisions publiques.
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Réduction des émissions en parcours RDE avec le superéthanol E85
(vs SP95)
CO2 NOx PN*
(g/km) (mg/km) (nombre de particules/km)
Volvo V60 Flexfuel -2 % -29 % -90,5 %
Audi A4 Flexifuel -6 % -35 % -91,7 %
Source : AFHB, avril 2018
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> Sur le Laboratoire de contrôle des gaz d’échappement de l’Université de Berne
> Sur le bilan CO2 des biocarburants
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