Alors que la question de la fiscalité du diesel fait plus que jamais l’actualité, le groupe Le Moniteur, au travers d’un récent BIPEnerpresse, a souhaité réunir différents acteurs pour en débattre. Les échanges ont fait émerger, au-delà de la seule question fiscale, la notion de justice sociale. Mais aussi, plus largement, les enjeux de la mobilité dans la nécessaire transition énergétique qui se profile
Pour Matthieu Orphelin (Fondation Nicolas Hulot), il importe aujourd’hui d’ouvrir le débat sur la fiscalité des carburants, celle du diesel en particulier, et sur les mesures compensatoires à adopter. « Le gouvernement a pris des engagements forts en matière de fiscalité écologique lors de la dernière conférence environnementale (septembre 2012). Ils doivent se traduire dans la prochaine loi de finances de 2014. Nous proposons un relèvement progressif de la fiscalité du gazole (4 centimes par an, soit un peu moins de deux euros le plein). Cela permettrait d’effectuer un rattrapage en quatre ans par rapport à l’essence. Les recettes fiscales supplémentaires de 1,2 milliard d’euros devraient en priorité aider les consommateurs, via un chèque mobilité et une redistribution aux seuls ménages dont les revenus sont inférieurs au revenu médian (soit une redistribution moyenne de 80 euros par an). Le reste pourrait porter sur des mesures visant à aider au changement de véhicule, la prime à la conversion étant versée sous condition de ressources. Il faudrait en outre aider les industriels à produire des véhicules à faible consommation. Enfin, il faudrait sortir du modèle du « tout voiture », via un fonds de développement dédié aux mobilités alternatives ».
Importation de la moitié du diesel consommé
Se pose aussi très vite la question de l’adaptation de l’outil de production de la France. En effet, comme le souligne Bruno Ageorges (UFIP), nous sommes face à un paradoxe. « Le marché des carburants représente actuellement 50 millions de m3 en France dont 40 millions pour le gazole (10 millions pour les poids lourds). Or, notre outil de raffinage ne peut techniquement pas produire plus de 50 % de ces besoins en gazole. Nous sommes donc contraints d’importer la moitié du gazole que nous consommons. Dans le même temps, la baisse de la demande d’essence conduit à exporter plus de 35 % des essences produites sur le territoire. On mesure les enjeux lorsqu’on sait que la facture énergétique de la France a représenté près de 70 milliards d’euros en 2012, dont 55 milliards pour la seule facture pétrolière. L’écart de fiscalité entre essence et gazole est dans une large mesure à l’origine de la différence de consommation : aujourd’hui, le gazole représente plus de 81 % de la demande de carburant. Dans ce contexte, nous souhaitons donc un rééquilibrage des fiscalités entre essence et gazole. Il peut se faire progressivement et s’accompagner de mesures de compensation. On pourrait envisager une baisse de la fiscalité sur l’essence, sachant que la France est au-dessus des minimas européens fixés pour la taxation de l’énergie », précise Bruno Ageorges.
Fiscalité nouvelle et mesures compensatoires
Nicolas Mouchnino (UFC-Que Choisir) est lui aussi favorable à une harmonisation de la fiscalité entre essence et gazole. « Il faudrait baisser la fiscalité sur l’essence et augmenter celle sur le gazole. Nous avons fait réaliser un sondage sur les choix de motorisation des consommateurs. Ils sont liés essentiellement au prix d’achat du véhicule et au budget carburant. Or, l’analyse de l’ensemble du budget automobile fait apparaître d’autres éléments : entretien, assurances, réparation… Nous avons constaté que beaucoup d’automobilistes roulaient moins pour compenser les surcoûts de leur véhicule diesel (prix d’achat, assurances, entretien…). Pour une majorité de ménages, le diesel n’est donc pas un choix rationnel par rapport à l’essence. Une modification du signal prix grâce à un rééquilibrage des fiscalités permettrait d’améliorer le budget automobile des ménages, les consommateurs s’orientant dès lors davantage vers des véhicules à essence ».
Emmanuel Mermet (CFDT) rappelle que son organisation est favorable à une contribution climat énergie (CCE) et à la remise en route de la taxe carbone. « Il faudra envisager des compensations fortes pour les ménages, en particulier pour les plus vulnérables, et une aide à l’investissement pour le renouvellement des véhicules. Concernant la fiscalité des carburants, nous sommes favorables à un rééquilibrage entre les taxes sur l’essence et le gazole, pour des raisons de santé publique et de balance commerciale. Cela ne pourra cependant pas se faire du jour au lendemain. Nos constructeurs automobiles se sont spécialisés sur les véhicules diesel qui ne sont pas ceux qui s’exportent le mieux. Quant à la fiscalité écologique, elle ne doit servir ni au désendettement de l’Etat ni à la baisse des cotisations sociales. En revanche, elle doit servir à la transition énergétique en favorisant un nouveau modèle de développement ».
Pour Loreleï Limousin (Réseau Action Climat France), la question de l’impact sanitaire du parc diesel est également posée dans le débat sur la fiscalité. « Il faut en outre supprimer les niches fiscales du diesel, mettre en place de nouveaux outils fiscaux (CCE/taxe carbone) et accorder des aides compensatoires aux ménages les plus affectés. Et ne pas oublier que l’efficacité énergétique est créatrice d’emplois », ajoute-t-elle.
Source : Débat BIP-Enerpresse du 27 mars 2013. Remerciements au groupe Le Moniteur.