[one_fourth][/one_fourth][three_fourth_last]A l’initiative de France Biomasse Energie (une branche spécialisée du Syndicat des Energies Renouvelables) s’est déroulé, fin juin 2013, le 3e Colloque National Biomasse. Il a réuni plus de 350 participants (industriels, pétroliers, constructeurs automobiles, pouvoirs publics, collectivités locales, personnalités politiques…). Son programme a abordé l’ensemble des thématiques des filières biomasse : bois énergie et biocombustibles, biogaz, biocarburants.
Voici la synthèse des échanges de la table ronde consacrée aux biocarburants et articulée autour d’une question centrale : « Quelle place pour les biocarburants en France et en Europe ? ». [/three_fourth_last]
Kristell Guizouarn, Directrice du développement durable, Sofiprotéol
Dans les années 1970, la France manquait de protéines végétales pour la nutrition animale et devait importer des tourteaux de soja à partir d’Argentine et des Etats-Unis. Suite à un embargo américain, il a été décidé de créer en France, sous l’impulsion de Sofiprotéol, une filière autour de la culture du colza. L’autosuffisance en protéines végétales est passée de 25 % à 55 % dès les années 2000. 60 % des protéines sont orientées vers l’alimentation animale, le reste est de l’huile végétale avec ses différents débouchés : alimentation, biocarburants et oléo-chimie. L’industrie de transformation du biodiesel s’est développée dans les années 1990 afin de trouver un nouveau débouché à l’huile végétale. La construction de la filière biodiesel et de son outil industriel s’est faite dans un cadre réglementaire extrêmement clair, à la fois européen et français, portant sur les taux d’incorporation de biocarburants dans les transports. Elle génère quelque 20 000 emplois en France.
Eric Lainé, Président de la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves
Les deux principales origines de la production du bioéthanol en France sont la betterave et les céréales (blé et maïs). Cela représente 6 500 emplois directs et indirects pour notre pays et une diversification pour l’agriculture. Quand un hectare de betteraves est consacré à la production de bioéthanol, la moitié revient à l’alimentation animale sous forme de pulpes. Ce qui fait que la mobilisation des surfaces consacrées au bioéthanol en France est inférieure à 1 % en net quand on a restitué la part qui retourne à l’alimentation animale.
Marc Gillmann, Responsable Marketing et Services, TOTAL
TOTAL est présent dans les biocarburants depuis 1980. Nous sommes essentiellement des incorporateurs de biocarburants (2 millions de tonnes en Europe pour satisfaire aux obligations européennes d’incorporation). Nous sommes également un acteur important dans le domaine de la recherche. Les discussions sont assez avancées à Bruxelles sur les facteurs ILUC* et, à nos yeux, on accorde trop d’importance aux effets indirects des biocarburants en matière d’émissions de CO2. Nous sommes assez inquiets des orientations qui pourraient être prises au niveau européen sur les biocarburants de seconde génération et nous craignons que cela ne détruise les filières existantes. Pour nous, une politique cohérente sur les biocarburants, en Europe et dans le monde, doit reposer sur une assise constituée de trois pieds, sans en oublier aucun : la production d’énergie, la création d’emplois, l’impact sur le changement climatique.
François Maire, Responsable des équipes carburants, PSA Peugeot Citroën
Le Groupe PSA se positionne en faveur des biocarburants sous réserve qu’ils respectent les critères de durabilité. Nous possédons une forte expérience dans ce domaine. Tous nos véhicules sont compatibles à l’E10. Nous possédons aussi une offre Flex Fuel pour le marché de l’Amérique Latine. Côté diesel, l’ensemble des véhicules actuels sont compatibles au B10, voire au B30 avec quelques adaptations. Pour les constructeurs automobiles, il importe de connaître la « road-map » d’introduction des biocarburants pour que nous puissions nous adapter et anticiper. Autrement dit, faire que nos moteurs soient performants, respectueux des émissions de gaz à effet de serre et compatibles aux taux futurs d’incorporation. Nous avons besoin de visibilité, un facteur déterminant pour anticiper la conception des moteurs de demain.
Corinne Lepage, Députée européenne
Réduire les émissions de gaz à effet de serre est l’enjeu des deux Directives européennes sur la qualité des carburants et sur les énergies renouvelables. Elles ont fixé pour cela un taux d’incorporation de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports à l’horizon 2020. Dès 2008, le Parlement avait souhaité que l’on prenne en compte l’effet que peut avoir sur le climat le changement indirect d’affectation des sols. L’étude commanditée par la Commission Européenne indique que, pour l’éthanol, l’effet ILUC est faible, ce qui n’est pas le cas avec certains biodiesels, en particulier l’huile de palme. La Commission Européenne souhaite que l’on aille vers des biocarburants dits avancés (rebus/déchets des filières bois et agriculture, hydrogène, méthanol, algues) qui n’impliquent pas de devoir choisir entre l’alimentation – qu’elle soit humaine ou animale – et le transport. La position personnelle de Corinne Lepage est la suivante : des investissements importants ont été faits dans les biocarburants. Une filière existe, il faut la protéger. C’est pour cela que la députée européenne a proposé une clause « Droits acquis » pour tous les producteurs d’éthanol et de biodiesel jusqu’en 2020. Elle a également demandé la conduite d’une étude d’impact sur tous les biocarburants.
Aurélien Million, Chef du bureau Biomasse et de l’Energie à la DGPAAT **
La position française sur la Directive CASI *** est en cours d’affinement. Je parlerai donc aujourd’hui au nom du ministère de l’Agriculture. La filière Biocarburants a bénéficié d’investissements amont et aval pour la mise en place d’outils modernes, performants et sûrs. Ils représentent une valeur et des emplois pour la France. Je confirme qu’on ne peut pas être dans le déni concernant la question ILUC, sachant, par ailleurs, que c’est un phénomène qui ne se mesure pas mais qui se modélise. La question est de savoir comment on le calcule et comment on l’intègre ensuite dans les politiques publiques. Au ministère de l’Agriculture, nous préconisons une approche par plafonnement des filières biocarburants sans perdre de vue l’objectif européen de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports en 2020. Ce dernier ne pourra être tenu sans les biocarburants de première génération. Il importe de donner de la visibilité aux différents acteurs de la filière d’ici à 2020.
Yves Lemaire, Chef du bureau industries pétrolières et nouveaux produits, Direction Générale de l’Energie et du Climat ; MEDDE ****
Les arbitrages sur la position française n’ont effectivement pas encore été rendus mais néanmoins des points de convergence existent. Premièrement, la reconnaissance de l’effet ILUC. Deuxièmement, la nécessité d’être pragmatique. On s’oriente vers un plafonnement des biocarburants, ce qui signifie limiter l’arrivée de nouvelles unités. Troisièmement, l’accent à mettre sur les biocarburants avancés. Cette démarche demande du temps. Il faut en parallèle soutenir la R&D sur les carburants avancés. Il ne faut pas perdre de vue non plus la Directive européenne sur la qualité de l’air (réduction de 6 % de l’intensité carbone des carburants en 2020). Elle est encore plus contraignante que celle sur les énergies renouvelables (10 % d’énergies renouvelables dans les transports). Si on met un plafond sur les biocarburants disponibles aujourd’hui sur le marché, il faudra adopter des dispositions particulières pour tenir nos objectifs de qualité de l’air et de taux d’incorporation.
Marcel Deneux, Sénateur de la Somme
La filière biodiesel a été créée au départ pour combler le déficit en protéines végétales. Ensuite, on lui a demandé de lutter contre les gaz à effet de serre puis de trouver une alternative au pétrole dont on prédisait la disparition. Si on touche à ces filières, on ira vers une pénurie de l’alimentation animale. En effet, s’il n’y a plus de produit, le co-produit disparaît. La France est le premier territoire agricole en Europe et, de ce fait, sa position sera toujours particulière. Il n’y a pas de risque sur notre capacité à nourrir le monde. Luttons déjà contre le gaspillage alimentaire qui représente 28 % à 30 % de la production selon la FAO. Et ne perdons pas de vue que notre facture énergétique s’élève chaque année à 60 milliards d’euros. Chaque goutte de biocarburant produite sur notre territoire contribue à réduire nos importations…
* ILUC : Indirect Land Use Change impacts
** Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires
*** CASI : Changement d’Affectation des Sols Indirect
**** Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie
L’intégralité des échanges du Colloque Biomasse 2013 sur : http://www.colloque-biomasse.fr/Page/1779/programme